Paul Ardenne, commissaire
2017
Agnès Pezeu (France) est connue surtout pour ses peintures de nus participatives. Des années durant, elle demande à des personnes de sa connaissance ou non, lors de performances publiques ou privées, de venir poser sur une toile au sol en lui présentant leur contour, qu’elle trace au charbon. Une fois cette première esquisse réalisée, l’artiste « interprète » le corps. Elle choisit couleurs éventuelles, ajouts et position de la toile une fois celle-ci accrochée, en jouant parfois de superpositions arbitraires ou signifiantes. Ce théâtre du corps est à la fois graphique, plastique, gymnique et érotique. Agnès Pezeu en fera plusieurs séries, toujours d’une évidente saillance, dont certaines connaîtront la notoriété (Flesh, 2012).
L’œuvre de cette artiste qui se rêvait, enfant, bouchère, ne se limite pas à ce type de peinture performée. Outre des installations de grand format en rapport direct avec la réalité (Temps et contretemps, en 2000) ou encore avec les éléments naturels (Dessein d’eau, en 2006, sur le thème de l’eau, au Parc de Saint Cloud), Agnès Pezeu a entrepris en 2013 un étonnant cycle de travaux graphiques et picturaux consacrés aux animaux morts – non des bêtes crevées ramassées ça et là mais les dépouilles, appartenant le plus souvent à des espèces rares, appelées à être naturalisées par les service de taxidermie du Muséum d’histoire naturelle de Paris. De façon paradoxale, cette mise au portrait de cadavres évitant le style de la nature-morte exalte une forme de vie, une résurrection. Comme si la peinture, dotée de pouvoirs chamaniques, avait le don mystérieux de réinsuffler la vie.
Exposer à la ZAN Gallery a permis à Agnès Pezeu de développer de récents travaux recourant cette fois à la terre, cuite ou non, en glaise durcie ou en porcelaine, diversement. L’artiste y expérimente un répertoire de formes « rapides », de manière souvent non programmée : par exemple, serrer de l’argile entre ses deux paumes et conserver à la matière qui a giclé de cette compression des mains la forme conférée par le geste de la pression. Cette grammaire spécifique produit un vocabulaire non moins spécifique où la forme se fait abstraite, incertaine, fuyante, inattendue, mal définissable, sur fond de non-contrôle et de hasard plutôt moins que plus maîtrisé. C’est cette maniera que l’artiste utilise de nouveau pour son exposition à la ZAN Gallery, sur le mode, cette fois, de l’art monumental.
La grande sculpture présentée à la ZAN Gallery, intitulée Télomère, prend la forme d’un ruban de porcelaine irrégulier, tantôt décoré de striures, tantôt vide de tout marquage. Elle rappelle, de loin en loin, un anneau de Moebius abîmé, comme accidenté, rafistolé au moyen d’une chaîne aux lourds anneaux. Sa sculpture, l’artiste l’a configurée de plusieurs manières différentes, soit en l’accrochant au plafond, soit en la posant au sol, soit en la divisant, dans l’esprit des L Beams de Robert Morris (sitôt posée de trois façon différentes, la même forme tridimensionnelle, dans ce cas un « L » minimaliste, engendre un rapport différencié à l’espace d’accueil de la sculpture). L’appellation « Télomère », utilisée non sans raison, fait directement référence au télomère, cet appendice de nos chromosomes dont la particularité est, avec l’âge mais pas seulement, de pouvoir se dégrader, une dégradation attestée par sa déformation. 1 Le grand Télomère d’Agnès Pezeu, déjà devenu plusieurs suite au processus de sa division, évoque à ce titre, une prolifération qui s’est saisi de l’art lui-même, pour le torturer. Du fait de son apparence chaotique, il semble appartenir à une ère, sinon post-apocalyptique, du moins où l’apocalypse a commencé à faire son chemin, sur le mode d’une mutation des substances et d’un équarrissage de toute élaboration pure et normée, artistique en soi, et humaine sans nul doute tout autant, en termes de métaphore et de symbole. Intrigante allégorie, convenons-en. Comme la référence à un monde en voie de déstructuration, devenant peut-être fou, pas loin de déjà se perdre – un monde qui pourrait bien être le nôtre.
1 – « Un télomère est une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d’ADN à l’extrémité d’un chromosome (…) (notice Wikipedia, 2016).
ZAN GALLERY
Vernissage le 22 mars à 17h30 – 48°51’52,5’’N/02°17’47.7’’E