Francis Parent
2006

L’œuvre d’Agnès Pezeu oscille depuis toujours entre moments parfois très figuratif et parfois très abstrait, Mais le plus souvent dans un mélange très énigmatique des deux. S’y confrontent en effet sans cesse comme l’analyse Worringer Dans « abstraction et Einfühlung», jouissance objective de soi et « énorme anxiété spirituelle devant l’espace ». D’ailleurs, l’artiste avoue qu’elle est part souvent de « bouillons » de matière princeps, réalisés en état d’urgence (jets d’encre, de peinture, etc…) tels des tests de Rorschach, afin de mieux s’exprimer de mieux (se) raconter.

Jaillissent alors sous ses fusains ou ses pinceaux, des champs de lumières mais aussi des zones d’ombres, des formes ondoyantes et douces mais aussi des tracés rigides et vifs. Toutefois, qu’ils soient de simples arabesques ou des représentations plus ou moins essentialisées de corps entiers, ces signes ne peuvent développer totalement leurs sens que grâce à une subtile alchimie intérieure propre à l’artiste, qui mêle par cette matière première picturale et un rapport quasi charnel avec l’épiderme de la toile, ce quelle nome « l’âme et le regard »

Une telle « passion du corps humain », transposée dans le corps même de la matérialité des œuvres ;, devait logiquement amener l’artiste à s’interroger, non seulement sur l’instant diégétique de leur création , mais aussi justement sur leur devenir temporel . Car, comme le disait Hannah Arendt, il n’y a pas « d’immortalité potentielle  de l’œuvre d’art » ; si l’humain vieillit, l’œuvre joue avec le temps comme une peau. `

Et celles d’Agnès Pezeu d’autant plus qu’elles sont réalisées sur des étoffes libres et largement tissées (toile à beurre, toile de voile , gaze, toile micro perforées, etc…) toujours accrochées à distance des cimaises, voire suspendues dans l’espace, et qu’elles vivent ainsi leur propre vie de « sculptures picturales » (ainsi qu’elle préfère appeler ses œuvres) dans la lumière qui donne vie aux couleurs mais aussi en altère les pigments ; l’air qui les caresse mais aussi les ronge , l’humidité qui les vivifie mais aussi les corrode . Et c’est à la faveur d’une grande exposition au Sénat, à Paris, qu’Agnès Pezeu put mieux approfondir cette idée du rapport humain/oeuvre-temps/Temps, en accrochant à l’extérieur, dans le jardin du Luxembourg, de grands formats flottant et des kakemonos au milieu des arbres du parc et sur un parcours pédestre ouvert à chacun (un idéal d’ « art pour tous » souvent recherché depuis les muralistes mexicains comme Siqueiros , Orozco, Riveira…mais rarement atteint depuis…). Ces toiles libres et quasi vivantes retrouvèrent alors dans ce nouvel « enracinement » environnemental, une nouvelle vie, faisant dire à l’artiste : « c’est la nature elle-même que je rêvais comme lieu d’exposition » .

C’est dans l’immense Domaine National de Saint Cloud qu’Agnès Pezeu est conviée à exposer et cette fois uniquement en extérieur , avec des œuvres monumentales qui devront dialoguer avec les éléments naturels et en particulier ce qui a fait la renommé de ce lieu depuis plus de trois siècles : l’eau. En effet les jeux d’eau de Saint Cloud doivent aussi leur magnificence à tout un réseau hydraulique, souvent méconnu puisque enfoui dans les sols de Ville d’Avray et du parc. Un parcours oublié du public et que l’artiste a révélé, à travers la propre révélation de son travail. Qui est disséminé tout au long du trajet visible ou invisible, de ce réseau. ….Révélant un parcours hydraulique complexe, cette installation immense (et pourtant non pérenne) révèle aussi la complexité d’un être artiste…car c’est bien aussi un autoportrait qui se déroule, se mélange, se coule, flotte au vent et sur les eaux…une image certes fractionnée, mais en totale symbiose poétique avec le temps qu’il fait et avec le Temps qui passe. …

DESSEIN D’EAU, parc de Saint-Cloud

Vidéo : 2006
Durée : 02:04
Installation d’œuvres au Domaine national de Saint Cloud et à Ville d’Avray.