Paul Ardenne, commissaire d’Humanimalismes
2020

Installation, peinture, modelage, céramique…, toute technique à même de susciter des formes plastiques trouve l’agrément d’Agnès Pezeu, styliste libre. Depuis 2007, cette artiste férue d’incarnation s’est notamment fait cette spécialité, la peinture de corps, ceux d’humains, auxquels elle demande de prendre des poses au sol, à leur guise, sur une feuille de papier disposée à l’horizontale. Avec son crayon de graphite, Agnès Pezeu saisit alors la posture choisie. Cette création cérémonielle, outre les humains, concerne aussi les animaux. L’artiste, depuis le début des années 2010, poursuit ainsi avec le Muséum d’histoire naturelle de Paris un cycle pour le moins singulier : des animaux endormis ou morts, promis à la guérison ou au taxidermiste, sont manipulés par l’artiste dans des positions évoquant leur existence passée. Une fois la pose trouvée, l’artiste la saisit graphiquement. Créer, c’est signifier une attention à l’autre, vivant ou mort.

Pour l’exposition « Humanimalismes », Agnès Pezeu présente Exomaleutérus, une production spécifique. Cette sculpture monumentale en porcelaine, grès, peinture et paraffine se déploie sur une hauteur de 4,30 m et s’étend sur le sol sur une surface de 3 m2. Agencée en trois morceaux, elle compte deux cages thoraciques en porcelaine blanche et une colonne vertébrale en céramique paraffinée articulée au moyen de fils de coton rose. Structure déployée comme une grotte verticale ou un vagin immense, elle permet au spectateur de s’y réfugier. On décèle là, dès l’abord, une œuvre d’art « médecine » aux accents chamaniques, à l’instar de la minuscule cabane à la taille de son propre corps dans laquelle le chaman amérindien entre en contact avec les forces de l’autre monde. Reprenant le modèle du squelette exposé dans les muséums d’histoire naturelle, Exomaleutérus représente, en trois dimensions, l’exosquelette d’un animal imaginaire dont l’artiste a inventé le nom. Agnès Pezeu part de l’idée du squelette protecteur des organes vitaux. Une évocation, allusive, de Jonas durant son séjour au creux de la baleine ou encore de Peau d’âne, protégée, grâce à une peau d’animal, de l’inceste et des avances de son père. Exomaleutérus – un titre à la fois mystérieux et explicite, renvoyant à la masculinité, mâle, et à la matrice, utérus – désigne tant un lieu de protection qu’une créature hors normes, un dinosaure improbable dont la caractéristique principale aurait été d’être doté d’un exosquelette en guise d’armature osseuse. « J’aime l’idée du refuge. Se cacher à l’intérieur d’une structure comme on a pu le faire, enfants, dans une bagnole, dans un tuyau d’égout, au creux d’une cabane… », dit l’artiste. En dépit de ses dimensions, conçues pour permettre l’accueil matriciel de nos corps, Exomaleutérus, création aérienne, affiche une indéniable légèreté. Portée aux transcendances, cette œuvre se veut aussi fragile, empreinte par allusion de cette incertitude mémorielle qui structure et déstructure nos souvenirs d’enfance.