Paul Ardenne
2018
Agnès Pezeu est une artiste plasticienne que passionne le mécanisme de l’empreinte. Non pas l’empreinte conventionnelle, qui s’applique aux objets (enfoncer une fourchette dans de l’argile pour recueillir son contour et son relief, par exemple) mais ce que nous pourrions dénommer l’« empreinte vive », l’empreinte vivante. Les sujets qu’affectionne particulièrement Agnès Pezeu pour réaliser ses « empreintes vives », ce sont ses semblables, les êtres humains. L’artiste agit
en atelier ou, plus volontiers, dans le cadre de performances, lors du vernissage de ses expositions. Elle demande alors à telle ou telle personne présente de s’allonger sur une toile ou un papier posé au sol, à l’horizontale, de prendre une pose de son choix, après quoi, au moyen d’un fusain ou d’un pinceau, elle réalise un cerne grandeur nature du corps, « sur le motif » pour- rait-on dire. À ce premier travail d’empreinte, parfois conservé et exposé tel quel ensuite, Agnès Pezeu peut dans certains cas ajouter différentes formes de sa main, au moyen de peinture, des formes que lui inspirent la position du corps croqué un peu plus tôt.
L’animal, tout comme l’être humain, passionne cette artiste familière des muséums d’Histoire naturelle, ce- lui de Paris au premier chef, où elle entreprend de travailler voici quelques années, avec des animaux cette fois, et non plus des humains. Quels animaux ? Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont ap- pelés à passer par ce lieu scientifique, notamment, plus que d’autres, les espèces en voie de disparition. Parmi celles-ci, comptons le bahral, le Mangabey à tête noire, le Cercopithèque de l’Hoest, l’Autruche et le Caracal, l’Ocelot ou encore la Vigogne, le Poudou, le Serval,
le raton laveur, le manchot…, parmi d’autres. Certains des animaux avec lesquels traite Agnès Pezeu ont été endormis, pour recevoir des soins. D’autres, trouvés morts mais en bon état de conservation, ont été apportés aux services vétérinaires du Museum parisien.
L’artiste, pour un moment, dans un atelier improvisé et avec l’aide du personnel spécialisé de l’établissement, opère alors de la même manière qu’avec les humains : dépôt de l’animal sur une toile posée au sol, tracé du contour de son corps après que l’artiste, cette fois, lui a donné une position. Parfois retravaillés, ces artefacts visuels sont ensuite exposés, montés sur toile, de façon à la fois discrète et directe : pas de formes outrageuses ajoutées à la saisie première du corps, pas de surcharge coloriste ou décorative. Ainsi dessiné, l’animal reste comme vivant, comme présent, n’en verrait-on, spectateurs, que le contour. Cette projection chargée de vie sur le plan factuel comme symbolique, s’agissant des espèces en voie de disparition, est particulièrement signifiante. L’accent est mis, pour la circonstance, sur la nécessité de préserver, de respecter, de conserver ce que nous lègue la nature.
Cette manière de procéder, très intime, est l’occasion pour l’artiste, non seulement de revivifier l’animal malade ou mort, mais encore d’agir en solidarité avec celui-ci, sur le mode du care, cette pratique de la « sollicitude » devenue de plus en plus de mise dans nos sociétés saturées de violence, de mépris et d’indifférence envers autrui. Une forme d’art positive, où l’artiste met de l’affection, de la tension amoureuse, une volonté de faire va- loir la présence de l’animal, sa propre propension en n à servir cet « autre », dans une perspective d’échange et de lien. L’intimité, toujours, advient lorsqu’il y a proximité sensible et affinité.